Stratégie de réitération et édification de la cime chez les conifères (Édelin, 1986) Naturalia monspeliensia - Colloque international sur l'Arbre 1986 - p. 139 à 158 - SOMMAIRE - L'analyse architecturale des Conifères tempérés et tropicaux montre que les modalités d'édification et d'évolution de leur cime reposent sur la nature des processus réitératifs mis en jeu au cours du développement de l'arbre. On distingue des espèces qui, sur leurs branches déjà en place, réitèrent des vagues successives de rameaux (Picea, Abies, Sequoia...), d'autres qui remplacent régulièrement leurs branches sur le tronc (Araucaria), formant ainsi des cimes emboîtées, d'autres enfin qui au cours d'un processus de métamorphose architecturale mettent en place de puissants complexes réitérés qui constituent l'infrastructure de la cime de l'arbre adulte (Agathis). Ces modalités réitératives conditionnent le mode d'occupation de l'espace aérien par la plante et chez les Conifères, il semble possible d'établir un lien direct entre le milieu dans lequel ils vivent et leur façon de réitérer. Ces considérations conduisent à préciser l'importance primordiale de la stratégie de réitération sur l'adaptabilité des espèces arborescentes. - SUMMARY - Architectural analysis of Conifer trees shows that their crown construction and evolution depend on the reiterative pattern involved during the growing process. We can distinguish species which reiterate series of twigs on their already mature branches (Picea, Abies, Sequoia...), others which replace regularly their old branches by new ones leading to the construction of nesting crowns (Araucaria), and others which build up their crown by an architectural metamorphosis process (Agathis). The tri-dimensional structure of the adult tree is determined by these various reiterative patterns and for Conifers we observe a very close relation between the reiterative patterns of species and their natural surroundings. These observations lead to state precisely the fundamental importance of the strategy of reiteration of a tree for its adaptability. - INTRODUCTION - La croissance d'un arbre, son mode d'occupation de l'espace, la nature et l'évolution des processus morphogénétiques qui sous-tendent son développement, constituent certainement l'un des problèmes les plus complexes en botanique, en raison même de l'ampleur de ces organismes et de l'importance de leur durée de vie. L'approche architecturale de ces problèmes, effectuée par HALLÉ et OLDEMAN (1970) et HALLÉ, OLDEMAN et TOMLINSON (1978) s'est révélée particulièrement fructueuse. Elle a permis sinon de les résoudre, du moins de donner un cadre général, perfectible, qui rend compte de l'ensemble des phases de développement de l'arbre. Selon ces auteurs, la morphogénèse du végétal ligneux Angiospermes arborescentes repose sur l'existence de deux processus distincts et complémentaires : le modèle architectural et la réitération. Le premier est le fondement même de l'architecture de la plante et détermine notamment son mode de ramification et la différenciation de ses axes 5 le second correspond à la capacité de l'organisme à dupliquer sa propre architecture par simple ramification naturelle ou provoquée. La vie de l'arbre se déroule en trois phases ; durant la première, l'organisme encore jeune se développe conformément à son modèle architectural (arbre d'avenir) Pl. I, fig. 1 et 2 ; parvenu à proximité de la voûte forestière, il réitère et met en place par ce processus les branches maîtresses ou complexes réitérés dont chacun est la réplique exacte de la plante jeune : leur ensemble constitue l'infrastructure de la cime de l'arbre du présent Pl. I, fig. 3. Celui-ci va vieillir et cette sénescence se traduit morphologiquement par l'apparition profuse de petits complexes réitérés à l'intérieur même de la cime, véritable population soumise à un fort renouvellement (TORQUEBIAU 1978). Cette profusion décroît à mesure que les branches maîtresses meurent, envahies par les floraisons successives et que la cime se disloque. C'est l'arbre du passé (Pl. I, fig. 4). Cette conception globale du végétal arborescent met bien en évidence l'importance de la réitération dans l'établissement de sa forme et de son évolution au cours du temps. En favorisant un élargissement rapide de la cime par la formation des branches maîtresses, elle permet à l'arbre d'explorer dans le milieu environnant un espace beaucoup plus vaste que celui, étroit, dont il disposait en sous-bois. L'apparition des complexes réitérés correspond à un accroissement considérable d'axes végétatifs, plus que ne saurait le faire le modèle architectural à lui seul, et donc à une augmentation importante de la surface assimilatrice de l'organisme. Déterminant le mode d'occupation de l'espace par la plante et contrôlant sa faculté d'exploitation du milieu, la réitération s'avère être un élément fondamental de son adaptabilité. Ainsi que l'a montré CASTRO DOS SANTOS (1981), toutes les plantes ne réitèrent pas de la même façon ni avec la même ampleur, et cette constatation porte à réfléchir sur la valeur adaptative comparée des différents processus réitératifs dans la compétition pour l'espace disponible. Sont-ils tous équivalents ? Certains confèrent-ils à l'arbre une faculté exceptionnelle pour occuper le milieu environnant ? Existe-t-il des modalités de réitérations incompatibles entre elles ? Planche I : Le développement de l’arbre forestier (selon Hallé, Oldeman et Tomlinson 1978). Fig. 1 et 2 : l'arbre d'avenir Fig. 3 : l'arbre du présent Fig. 4 : l'arbre du passé Pour étudier ce problème et apporter au moins quelques éléments de réponse, les Conifères constituent certainement un taxon tout à fait intéressant. D'une part, il nous offre une gamme de situations écologiques des plus variées, allant depuis les basses altitudes des régions arctiques jusqu'aux hautes altitudes tropicales, en passant par les montagnes tempérées et les forêts tropicales denses humides, situations dans lesquelles s'exprime tout un vaste échantillonnage de relations spatiales avec les espèces voisines, les Angiospermes arborescentes notamment. D'autre part, nous possédons actuellement des données précises sur leur mode de réitération tant au travers de travaux déjà anciens (ÉDELIN, 1977) que par des observations beaucoup plus récentes (ÉDELIN, 1984). C'est donc par l'intermédiaire de ce taxon que je tenterai de montrer à la fois la diversité des processus réitératifs, leur incidence dans la construction d'une cime et leur conséquence sur la compétitivité de l'organisme face à ses voisins. Nous étudierons les modalités de réitération adaptatives (CASTRO DOS SANTOS, op. cit.) sur trois exemples aux comportements bien différents : Picea abies (L.) Karsten (Pinaceae), Araucaria hunsteinii K. Schum (Araucariaceae) et Agathis dammara (A.B. Lambert) L.C. Richard (Araucariaceae). LA REITERATION ADAPTATIVE CHEZ Picea abies (L.) Karsten (Pinaceae) Cette espèce, commune en Europe, est très représentative du genre Picea chez lequel le comportement réitératif est homogène (ÉDELIN 1977)• L'architecture fondamentale de cet arbre est intermédiaire entre celles définies par les modèles de Massart et de Rauh (ÉDELIN 1981). Le tronc, un monopode orthotrope à croissance et ramification rythmique porte des étages de branches, horizontales dans leur partie proximale mais plus ou moins dressées et parfois même franchement verticales à leur extrémité. Au stade adulte, l'arbre est ramifié jusqu'à l'ordre 4 (Pl. II) et son diagramme architectural (ÉDELIN, 1977) correspond à celui présenté dans le tableau n° 1. Comme chez les autres espèces d'Epicéa qu'il m'a été donné d'observer (tableau 2) tous les axes présentent la particularité de posséder des bourgeons latents à la base de chacune de leurs unités de croissance (Fig. 1). Situés à l'aisselle des feuilles-écailles et des premières feuilles assimilatrices, ces bourgeons sont susceptibles d'entrer en activité après une période de repos plus ou moins longue. Ces débourrements tardifs peuvent intervenir sur tous les axes de la plante mais se produisent presqu'exclusivement sur les branches (axes d'ordre 2) et à la base des rameaux (axes d'ordre 3) (Pl. Ill, fig. 1). Ils donnent naissance à de nouveaux rameaux dont la structure est en tout point comparable à celle des axes d'ordre 3 et 4 décrits dans le tableau 1. Plus ou moins réguliers dans leur apparition, répétant de manière non séquentielle un élément structural déjà existant sur la plante, ces rameaux doivent être considérés comme des complexes réitérés partiels, puisque seule une partie de l'architecture totale de la plante est reproduite. Ces axes sont très abondants. Ils s'observent à profusion aussi bien dans la partie basale de la branche qu'à proximité de son apex et du fait de leur diamètre très grêle, ils s'affaissent sous leur poids et contribuent très largement à constituer les draperies de rameaux qui pendent de manière si caractéristique sous les branches de cette espèce d'Épicéa (Pl. III, fig. 2). Figure 1 : Structure des unités de croissance chez Picea abies. Elles comportent 3 zones de bourgeons latéraux : des bourgeons subterminaux (a), des bourgeons médians (b) et des bourgeons basaux (c). Ces derniers, situés à l'aisselle des écailles de l'ancien bourgeon terminal, sont à l'origine des rameaux réitérés. Tableau 1 : Diagramme architectural de Picea abies (L.) Karsten Axe 1 - Croissance monopodiale rythmique. - Croissance indéfinie. - Orthotropes. - Phyllotaxie spiralée, feuilles à disposition radiale. - Pas de sexualité. Axe 2 - Croissance monopodiale rythmique. - Croissance indéfinie. - Orthotropes. - Phyllotaxie spiralée, feuilles à disposition radiale. - Pas de sexualité. Axe 3 - Croissance monopodiale rythmique. - Croissance en longueur et en diamètre, définie à court terme. - Sans direction de croissance précise. - Phyllotaxie spiralée, feuilles à disposition secondairement (+ -) bilatérale. - Portent terminalement cônes femelles. Axe 4 - Croissance monopodiale rythmique. - Croissance en longueur et en diamètre, définie à court terme. - Sans direction de croissance précise. - Phyllotaxie spiralée, feuilles à disposition secondairement (+ -) bilatérale. - Portent terminalement et latéralement les chatons. Remarques : Les axes 1 et 2 constituent la charpente, les axes 3, 4 (et très rarement 5) forment des systèmes assimilateurs et reproducteurs, ils perdent vite leurs feuilles et s'élaguent : ils constituent des rameaux courts. L'axe central des cônes est d'ordre 3, les axes porteurs des fleurs sont d'ordre 4 et 5. Tableau 2 : Liste des espèces d'épicéas observés. Nom et origine Picea abies (L.) Karsten | Europe Picea ascendens Patschke | Asie Picea brachytyla (Fran.) Pritzel | Asie Picea glehnii (Fr. Schmidt) Masters | Asie Picea jezoensis (Sieb. et Zucc.)Carr.| Asie Picea montigena Masters | Asie Picea omorika (P.) Purkyné | Europe Picea orientalis (L.) Link | Europe Picea pungens Engelmann | Amérique du Nord Picea retroflexa Masters | Asie Picea wilsonii Masters | Asie Planche II : Architecture de Picea abies. Fig. 1 : L'arbre de profil Fig. 2 à 6 : Vues en plan de différents étages de branches. Les feuilles ne sont pas figurées ; les cônes femelles sont représentés par des ovoïdes hachurés, les chatons males par de gros points noirs. Les traits transversaux qui barrent les axes indiquent les arrêts de croissance. Planche III. La réitération adaptative par vagues successives de rameaux chez Picea abies. Fig. 1 : Schéma d'une branche vue par dessus. Deux séries de rameaux réitérés seulement ont été représentées. Fig. 2 : Une branche réitérée vue de profil. Les rameaux réitérés sont figurés par des traits épais. (Sur ces 2 schémas les rameaux d'ordre 4 n'ont pas été dessinés). Bien que de nature réitérative, ce processus présente dans le temps et l'espace une dynamique relativement précise. Les premiers rejets ne peuvent commencer à apparaître que sur des unités de croissance formées depuis au moins trois ans. les trois dernières unités formées à l'extrémité de la branche vivante sont donc dépourvues de complexes réitérés. Si l'on remonte vers le tronc, ces complexes sont de plus en plus grands et nombreux. Tout comme les rameaux séquentiels d'ordre 3, leur croissance diminue d'année en année, puis ils meurent, et s'élaguent. Bien avant que ce stade soit atteint, de nouveaux rejets mis en place selon le même processus commencent à se développer à leur base constituant une troisième génération de rameaux. Le phénomène se répétant avec régularité, la branche peut ainsi porter plusieurs générations de complexes réitérés partiels qui se succèdent par vagues annuelles, alors même que l'apex de l'axe 2 et les rameaux séquentiels d'origine sont morts depuis longtemps. Initialement, les premiers rejets formés peuvent croître pendant 8 à 10 ans ; par la suite leurs successeurs ont des durées de vie de plus en plus courtes mais sont fleuris plus tôt et abondamment. En résumé, la réitération adaptative dans le genre Picea se traduit par l'apparition sur les branches, de vagues successives de rameaux qui se remplacent mutuellement. Ce processus est très fréquent chez les Conifères. On l'observe également dans les genres Abies, Sequoia, Thuya, Juniperus, Cunninghamia et sous une forme extrême par sa régularité et sa précision, dans les genres Metasequoia et Taxodium. De nombreux autres tendent également à manifester ce processus, mais de façon souvent plus rudimentaire. LA REITERATION ADAPTATIVE CHEZ Araucaria hunsteinii K. Schum (Araucariaceae) Araucaria hunsteinii ("Klinkii Pine") est une espèce originaire des pentes montagneuses de Nouvelle Guinée (HAVEL 1965, 1967). Il se développe sur la chaîne centrale de l'île entre 500 et 1500 mètres d'altitude au coeur des forêts de Fagaceae dont il peut par endroit constituer l'élément dominant. Le Klinkii Pine est un arbre à métamorphose dont le mode de croissance a été décrit en détail dans un travail antérieur (ÉDELIN, 1984). Je me contenterai donc de reprendre les principales phases de son développement, tout en insistant sur son mode de réitération. Jeune, Araucaria hunsteinii est conforme au modèle de Massart. Un tronc monopodial orthotrope à croissance et ramification rythmiques porte des étages de branches plagiotropes (A„). Celles-ci, également à croissance et ramification bilatérales rythmiques»émettent des rameaux (A2) plagiotropes s'affaissant sous leur propre poids. L'ensemble est à phyllotaxie spiralée et les feuilles, aplaties, sont longuement aciculées (Pl. IV). Adultes, les individus acquièrent une architecture différente, alors conforme au modèle de Rauh (Pl. V, fig. 3). Le tronc reste inchangé, mais les branches et les rameaux deviennent orthotropes, à ramification diffuse, radiale et portent des feuilles concaves et obtuses. C'est à ce stade seulement que se manifeste la sexualité. Il n'existe pas de bourgeons latents visibles, sur aucun axe de la plante, néanmoins, à la base des axes 2, sur la face supérieure du bourrelet qui s'établit à la frontière tronc-branche, des rejets peuvent commencer à apparaître, peut-être à partir de méristèmes préformés, lorsque la branche atteint 3 à 4 mètres de long, donc plusieurs années avant la fin de sa croissance. En se développant, ces complexes réitérés, toujours ramifiés, font apparaître une architecture toujours identique à celle de la branche dont ils dérivent : plagiotropes à feuilles aciculées si c'est à la base d'une branche basse d'un arbre jeune, orthotropes à feuilles obtuses à l'aisselle des branches hautes d'un arbre plus âgé. Ce processus se produit au niveau de chaque verticille et de chaque branche, de sorte qu'une nouvelle cime plus jeune s'établit à l'intérieur de l'ancienne encore en place et qu'elle remplacera progressivement lors de son démembrement (Pl. V, fig. 4). Tout comme les épicéas remplaçaient plusieurs fois de suite leurs rameaux, la réitération des branches d'Araucaria hunsteinii peut s'effectuer en plusieurs vagues consécutives à partir des mêmes bourrelets basaux, de sorte que l'arbre adulte porte plusieurs cimes d'âge différent, plus ou moins intriquées et régulières. Ce mécanisme de "cimes emboîtées" est tout à fait identique à celui décrit par VEILLON (1978, 1980) sur d'autres espèces. Comme le signale cet auteur, la netteté des cimes emboîtées est variable et de toute façon, elle s'estompe sur les arbres âgés, où les vagues successives de réitération semblent se mélanger, sans pour autant masquer la réalité du phénomène. Chaque complexe réitéré, toujours plus petit que ceux dont ils dérivent, est fleuri de plus en plus précocement, de sorte que globalement la cime multiple de l'arbre est envahie par la floraison. Planche IV. Araucaria hunsteinii : arbre jeune. Fig. 1 : la plante vue de profil. Fig. 2 : vue en plan d'une branche plagiotrope. Le symbole hachuré à la base du tronc figure la phyllotaxie spiralée alterne. Planche V. Les phases de développement d'Araucaria hunsteinii. Fig. 1 : l'arbre jeune conforme au modèle de Massart. Fig. 2 : l'arbre jeune commençant à se métamorphoser à son sommet. Fig. 3 : Arbre entièrement métamorphosé. Tous les axes sont orthotropes. Fig. A : Arbre adulte comportant 2 cimes réitérés emboîtées sous le cime d'origine séquentielle. En résumé, la réitération adaptative chez Araucaria conduit à l'apparition de vagues successives de branches qui se remplacent mutuellement sur le tronc. Ce processus, peu fréquent semble-t-il chez les Conifères, a été retrouvé récemment chez Abies alba et l'on peut s'attendre à le voir décrit chez d'autres espèces, notamment des Taxodiaceae. Tableau 3 : Etapes successives de la modification de la disposition des feuilles d'un axe 2 d'Agathis dammara, au cours de son redressement. Plagiotropie (vers) Orthotropie Disposition des Feuilles : Opposees-decussees disposes dans un plan horizontal Direction de croissance de l'axe 2 : Horizontale --- Disposition des Feuilles : Opposees-decussees disposes dans deux plans perpendiculaires Direction de croissance de l'axe 2 : Verticale --- Disposition des Feuilles : Spiralées alternes au milieu des unités de croissance ; opposées décussées dans les bourgeon Direction de croissance de l'axe 2 : Verticale --- Disposition des Feuilles : Spiralées alternes même au niveau des bourgeon Direction de croissance de l'axe 2 : Verticale LA REITERATION ADAPTATIVE CHEZ Agathis dammara (A.B. Lambert) L.C. Richard (Araucariaceae) Agathis dammara est une Araucariacée endémique des forêts tropicales humides de basse altitude du Sud-Est Asiatique. On la rencontre notamment de Sumatra à Bornéo et jusqu'à la Nouvelle Guinée. Groupe géographiquement à très vaste répartition, elle a fait l'objet d'une révision taxonomique récente (WHITNIORE, 1980). Le jeune Agathis dammara est conforme au modèle de Massart (Pl. VI, fig. 1). Après une phase initiale fugace à feuilles opposées-décussées, le tronc, monopodial orthotrope à croissance rythmique acquiert une phyllotaxie spiralée à feuilles alternes. Il met en place des étages de branches plagiotropes à feuilles opposées-décussées dont les limbes se disposent dans un plan horizontal par torsion des pétioles. Les branches sont ramifiées jusqu'à l'ordre 3 (Pl. VII, fig. 1). La ramification s'effectue pour chaque axe dans la zone médiane des unités de croissance. L'arbre acquérant de la hauteur, sa ramification s'intensifie progressivement (Pl. VI, fig. 2). L'apparition généralisée des axes d'ordre 4 s'accompagne d'une transformation profonde de l'architecture des branches : les axes 2 jusqu'alors horizontaux deviennent dressés, orthotropes à phyllotaxie spiralée et feuilles alternes et disposent, par voie de conséquence, leurs rameaux (axes 3 et 4, plagiotropes) de façon radiale (Pl. VII, fig. 2). Cette métamorphose architecturale, déjà décrite chez d'autres espèces (ÉDELIN, 1984) est progressive et le tableau 3 fait apparaître à titre d'exemple quelques étapes de cette transformation, en se fondant sur l'évolution phyllotaxique des axes 2 en fonction de leur degré de ramification et de leur direction de croissance. Ce stade de croissance caractérisé par une architecture fondamentale à 4 ordres de ramification est, chez cette espèce, typique de l'arbre d'avenir. Il s'observe sur des individus compris entre 5 et 25 mètres de hauteur environ et est d'autant plus long qu'ils croissent dans un sous-bois dense (Pl. VI, fig. 3). Le développement de l'arbre continuant, des axes d'ordre 5 se mettent en place et comme précédemment, cette formation s'accompagne, sur les branches concernées, d'une nouvelle transformation de leur architecture. Cette fois-ci se sont les rameaux d'ordre 3 qui deviennent orthotropes à phyllotaxie spiralée et feuilles alternes, selon un déroulement identique à celui qui conduisait à la métamorphose des axes 2. Ceux-ci dans le même temps deviennent beaucoup plus dressés et leur diamètre s'accroît considérablement. En fait, dans sa globalité, la branche ainsi modifiée acquiert une architecture semblable à celle de l'arbre d'avenir et est donc devenue un complexe réitéré (Pl. VI, fig. 4). En résumé, la cime d'Agathis dammara, se met en place à l'issue d'un lent processus de métamorphose architecturale en paliers et est constituée de complexes réitérés totaux (= branches maîtresses) de grande taille, plus ou moins affaissées sous leur propre poids. Ce mode de développement repose sur un processus morphogénétique à déterminisme endogène ainsi qu'il a pu être démontré ultérieurement (ÉDELIN, op. cit.). L'importance de ce mode de réitération adaptative chez les Conifères est encore difficile à estimer ; une partie des genres Pinus et Podocarpus semblerait pouvoir s'y conformer. Planche VI : Le développement d'Agathis daromara. Fig. 1 : arbre jeune conforme au modèle de Massart. Fig. 2 : arbre commençant à se métamorphoser. Fig. 3 : l'arbre d'avenir métamorphosé. Tous les axes d'ordre 2 sont orthotropes. Fig. 4 : L'arbre du présent. La cime est constituée de complexes réitérés (cr.) totaux. Les axes d'ordre 3 sont devenus orthotropes. Dans toutes ces figures, l'ordre ultime de ramification n'a pas été représenté. Planche VII Fig. 1. Fig. 2. DISCUSSION Les 3 exemples qui viennent d'être analysés nous présentent 3 façons de réitérer qui dépendent : - de la nature et de la place des méristèmes impliqués dans le processus réitératif (bourgeons dormants situés à la base des axes 3 et au niveau des arrêts de croissance des axes 2 ; méristèmes situés à la base des axes 2 chez Araucaria hunsteinii, ensemble des méristèmes terminaux des axes 2, 3, 4 et 5 chez Agathis dammara). - de la structure des complexes réitérés qui en dérivent (réitération de rameaux chez Picea abies, réitération de branches chez Araucaria hunsteinii et réitération totale chez Agathis dammara). La combinaison de ces caractères définit la stratégie de réitération de l'organisme, c'est-à-dire l'ensemble des potentialités réitératives dont il dispose pour assurer son développement. Cette stratégie est spécifique, héréditaire et ne dépend du milieu que dans la mesure où celui-ci peut favoriser ou défavoriser son expression. En intervenant dans l'édification de la cime, elle conditionne largement le volume que l'arbre va occuper à l'état adulte, et sa manière d'exploiter le milieu ambiant. Avec une réitération de type Picea (remplacement des rameaux) l'organisme met en place une infrastructure pérenne réduite au tronc et aux branches séquentielles, architecture invariable mise en place très tôt et conférant à l'organisme un écotope (OLDEMAN, 1974) globalement cylindrique ou conique. Au sein de ce volume étroit, les vagues successives de rameaux permettent à la plante d'assurer sa photosynthèse durant des années. Le rendement énergétique de cette opération est certainement très positif car l'arbre effectue son assimilation chlorophyllienne en investissant initialement une quantité d'énergie minimum pour la construction de sa charpente. Sans doute cette optimisation favorise-t-elle la croissance rapide de ces végétaux ainsi que l'abondance de leur production de semences, autant de caractères qui leur permettent de coloniser de vastes étendues. Chez les Araucarias, la situation est tout à fait similaire. Le remplacement des branches donne à l'arbre la possibilité d'utiliser toujours la même infrastructure, réduite au tronc, et d'accomplir ainsi à moindre frais une exploitation optimisée du milieu. La réitération par métamorphose correspond à une situation bien différente. L'arbre n'exploite pas méthodiquement et de façon optimisée un volume étroit tout au long de sa vie, mais il élargit progressivement sa couronne à mesure que les branches maîtresses apparaissent et s'allongent. Leur édification est certainement très coûteuse pour l'arbre et pourrait expliquer assez bien la lenteur de leur croissance, mais ce handicap est compensé par l'intérêt de cette stratégie dans la compétition avec les espèces voisines. Elargir sa couronne correspond en effet à la possibilité de surcimer des individus voisins, donc de défavoriser leur développement. C'est notamment ce qui peut arriver aux arbres de type Picea ou Araucaria qui, du fait de leur façon de réitérer, se trouvent cantonnés dans un volume étroit et fixe. Tant que le milieu s'avère favorable, ils ont un très bon développement, mais si des arbres à métamorphose, des Angiospermes par exemple, s'installent en mélange avec eux, ils sont exposés à être éliminés. Ce sont des organismes contraints à vivre dans des milieux où la compétition est faible, c'est-à-dire soit en peuplements ouverts, soit en peuplements denses mais au milieu d'individus incapables de les surcimer. Ces observations rendent assez bien compte de la répartition actuelle des Conifères où l'on constate un parallélisme étroit entre leur stratégie et leur situation écologique. Les genres Picea et Abies mal armés a priori pour la compétition avec les Angiospermes arborescentes, constituent souvent des associations végétales où les feuillus sont peu représentés ou de taille modeste. On connaît les formations paucispécifiques de Conifères en Amérique ou en Europe du Nord. Le genre Araucaria pour sa part, essentiellement centré sur la Nouvelle-Calédonie, tend à former des peuplements presque purs. Quand les araucarias sont en mélange avec les Angiospermes, ils sont alors regroupés par taches au milieu des massifs forestiers, ou bien dominent entièrement une végétation rase de maquis (NASI, 1982). C'est une situation similaire que l'on retrouve avec le Klinkii Pine qui, bien que vivant au milieu de la forêt tropicale dense humide, domine largement la voûte de ses 65 à 80 mètres de hauteur et par conséquent échappe aussi à cette compétition pour l'espace. Les Aghatis ont une distribution très différente. Ils comptent parmi les rares Conifères à pouvoir vivre en mélange dans la voûte forestière avec les Angiospermes arborescentes de la forêt tropicale humide de basse altitude. Il est même curieux de constater qu'Agathis dammara s'épanouit au coeur des forêts à Dipterocarpaceae, famille chez laquelle la réitération par métamorphose est particulièrement bien répandue. En fait, si les Conifères à séries successives de rameaux ou de branches s'observent exclusivement dans, des milieux où la compétition avec les Angiospermes est faible et inversement pour ceux qui ont la capacité de former des branches maîtresses, on est conduit à se demander dans quelle mesure la stratégie réitérative n'a pas été un élément déterminant dans la sélection de ces végétaux au moment de l'explosion des Angiospermes. A l'apparition massive de celles-ci, les Conifères de la première catégorie auraient pu être éliminés des régions tropicales de basse altitude et réléguées aux zones de haute altitude et de haute latitude, encore aujourd'hui peu propices aux feuillus. Ceux qui en revanche avaient la même façon de réitérer, donc d'occuper l'espace aérien, auraient pu demeurer dans leurs milieux ou leurs aires d'origine. Il ne s'agit là bien sûr que d'une hypothèse qui ne prétend pas à elle seule rendre compte de l'ensemble du problème. Nous aurions besoin pour la vérifier d'une analyse des stratégies réitératives et de la répartition des Conifères fossiles ainsi que d'une étude approfondie de l'architecture des genres Pinus et Podocarpus encore trop mal connus. Mais cette hypothèse me semble fondée sur des éléments d'observation suffisamment forts pour mériter une attention particulière dans les tentatives d'interprétation de la répartition des Conifères contemporains. - CONCLUSION - La construction de la cime d'un arbre repose sur l'existence de stratégies de réitération spécifiques qui dépendent de la nature, de la position et du développement des méristèmes impliqués dans le processus réitératif. Chez les Conifères, deux grandes catégories de stratégies de réitération ont été reconnues, l'une conduisant à la formation de générations successives de rameaux ou de branches, l'autre à l'édification de puissantes branches maîtresses. Ce dernier cas correspond à des espèces qui peuvent vivre en mélange avec les Angiopermes arborescentes, ayant une architecture équivalente, au coeur des forêts tropicales humides de basse altitude, alors que celles qui présentent l'autre manière de réitérer sont réléguées dans des zones où la compétition avec les feuillus semble moins aigüe. Ces constatations conduisent à émettre l'hypothèse que la stratégie de réitération a pu être un facteur de sélection des Conifères au moment de l'explosion des Angiospermes. Elles font ressortir en tout l'importance des processus réitératifs dans la vie du végétal ligneux et dans sa manière d'occuper l'espace aérien, et incitent à développer les recherches dans ce domaine encore trop peu exploré. - DISCUSSION - Barnola : Les complexes réitérés chez les épicéas et les Araucaria apparaissent à partir de bourgeons situés à la base des branches ou des rameaux. Doit-on considérer qu'il est d'un cas général chez les Conifères ? Édelin : On constate en effet que dans de nombreux genres, le tronc, les branches ou les rameaux portent au niveau de leur arrêt de croissance des bourgeons latents susceptibles de produire, s'ils se développent, des complexes réitérés. Cette propriété réitérative liée spatialement aux zones d'arrêt de croissance pourrait être une expression du rajeunissement plus ou moins prononcé qui accompagne selon Nozeran le phénomène de diapause. Michaloud : Dans le cas de plantes épiphytes tels que les Ficus, la stratégie de réitération des arbres porteurs pourrait-elle être un élément important pour l'installation des plantes épiphytiques tels que les Ficus ? Édelin : Certainement la stratégie de réitération des arbres porteurs peut être un facteur conditionnant l'installation des figuiers épiphytes car elle est susceptible de générer des niches propres à cette implantation. De même la stratégie de réitération de l'épiphyte peut intervenir dans le succès de sa croissance au coeur de la cime de l'arbre support. Néanmoins une même stratégie réitérative laisse à l'arbre une souplesse physionomique suffisante pour envisager la possibilité d'implantation de plusieurs espèces différentes d'épiphytes. - BIBLIOGRAPHIE - CASTRO E SANTOS A. de, 1980.- Essai de classification des arbres tropicaux selon leur capacité de réitération.- Biotropica, 12 (3) : 187-194. ÉDELIN C., 1977.- Images de l'architecture des Conifères.- Thèse 3ème cycle, Univ. Sc. Tech, du Languedoc, Montpellier. 255 p. ÉDELIN C., 1981.- Quelques aspects de l'architecture végétative des Conifères.- Bull. Soc. Bot. Fr., Lettres Botaniques, vol. 128 n° 3. ÉDELIN C., 1984.- L'architecture monopodiale : l'exemple de quelques arbres d'Asie tropicale.- Thèse Doct. d'Etat, Univ. Sc. Tech, du Languedoc, Montpellier : 258 p. 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